Une citation :
"Tout amour pense à l'instant et à l'éternité, mais jamais à la durée."
Friedrich Nietzsche
Dans cette nouvelle rubrique, nous proposerons quelques synthèses sur des questions significatives en grammaire française pour permettre une approche de points qui transcendent en quelques sortes les catégories de présentation du cours
Cette rubrique "Questions linguistiques" s'accroîtra régulièrement
Issues de formes verbales, traditionnellement appelées "participes présents" (chantant, allant, voyant, fatiguant...), les formes en "-ant" en français ont des fonctions diverses.
Il faut distinguer d'abord soigneusement celles qui sont passées "du côté du Nom" et jouent un véritable rôle d'adjectif (fonction adjectivale) : ex. "un homme agaçant/une femme agaçante".
Quelques formes, à travers ce processus diachronique (comme il est fréquent en français, de nombreux adjectifs devenant noms), peuvent même devenir noyaux du groupe nominal ; elles constituent ainsi de véritables noms : "un voyant", "Pierre a de l'allant", "les encombrants", etc.
Les "adjectifs" en "-ant", insérés dans le groupe nominal (GN) plus fréquemment après le nom, mais parfois avant (au moins au même titre que les participes passés (voir note 10), chez certains auteurs contemporains qui tirent de cette position des effets intéressants, et, pour les participes présents, peut-être un peu plus facilement antéposés en rapport avec certaines données syntaxiques comme la présence d'un complément de nom après le substantif,cf. "un encombrant paquet de déchets", "une naissante rumeur de révolution", "un entêtant parfum de vanille", etc.), n'ont pas lieu d'être distingués particulièrement des autres "compléments nominaux" dans le GN (ils s'accordent même en nombre et en genre avec le nom noyau du GN qu'ils qualifient). Toutefois, ils conservent de leur origine verbale quelques valeurs de sens à souligner (valeur "durative", qui convient particulièrement pour l'expression de la lenteur, de l'attente, en référence à une qualité ou un état plus ou moins permanents).
Notez bien que quelques anciens participes présents se sont complètement figés dans des fonctions nominales (noms ou adjectifs) et sont éventuellement ainsi des doublets de formes qui conservent un lien avec le verbe correspondant : ex. "puissant" (doublet de "pouvant"), "savant" (doublet de "sachant"), etc.
On ne confondra pas les formes à fonction adjectivale (cf. ci-dessus) qui sont en lien direct avec un nom qu'elles qualifient avec les formes en "-ant" qui conservent une fonction verbale et sont donc de fait au coeur d'une subordonnée à valeur circonstancielle en lien avec une proposition principale. Là encore, on sera amené à distinguer deux cas :
Ces structures ont toutes deux valeurs de circonstancielles et peuvent être plus ou moins intégrées au groupe verbal (GV), tout en conservant une certaine mobilité - ce qui en fait plus généralement des compléments (circonstanciels) de phrases plutôt que des compléments de verbe.
La mobilité de ces subordonnées est toutefois assortie de modifications du schéma intonatif : certaines qui sont placées plus normalement avant la principale, peuvent être placées après, mais à condition de recevoir un schéma intonatif de "commentaire".
Ex. de participiales : "Paul arrivant, il me fallut laisser la chambre"
"Jacques n'ayant pas fini de manger, Paul se décida à partir seul au travail".
Ces participiales, caractérisée formellement par l'absence de marqueur subordonnant, fonctionnent comme tout circonstant (de temps, de lieu, de manière...) et sont aussi caractérisés syntaxiquement par le fait que le premier actant est distinct du sujet de la principal.
Les subordonnées gérondives, quant à elles, sont souvent marquées par la présence d'un subordonnant, "en", et elles ont normalement comme "antécédent" le sujet de la principale.
Ex. de gérondives : "(En) prenant sa voiture, Paul constata qu'elle ne pouvait pas démarrer"
Précédées par l'adverbe "tout" ("tout en...") ces gérondives soulignent la simultanéité de deux actions :
"Tout en prenant sa voiture, Paul achevait son sandwich."
Dans la langue parlée, on rencontre des énoncés pour lesquels le référent du groupe gérondif n'est pas équivalent au sujet de la principale. D. Maingueneau cite : "En allant à Pau, le paysage est magnifique" (Précis de grammaire pour les concours, Nathan - Université, 2001, p. 69) ; mais ces usages sont dénoncés par la norme !
On peut du point de vue aspectuel souligner que le morphème "-ant" est expression d'un procès marqué comme duratif :
"Travaillant, Paul constata qu'il comprenait de mieux en mieux" (gérondive)
"Paul terminant son devoir, André lui proposa de partir" (participiale)
Ces deux énoncés insistent sur la durée de l'opération en question : on pourrait gloser le premier exemple "A force de travailler, pendant qu'il travaillait... Paul constata..."), et le deuxième "tandis que Paul terminait son devoir, André...". Le remplacement de ces formes gérondives ou participiales par un verbe conjugué implique le recours à un temps duratif comme l'imparfait dans les exemples ci-dessus.
La distinction entre formes en "-ant" nominales et formes en "-ant" verbales semble donc essentielle pour tout classement et toute analyse. Comme nous l'avons souligné, il est utile de recourir à des commutations (tests de commutation) qui soulignent ces différences fonctionnelles : "un homme embêtant" : on peut dire "un homme ennuyeux, perspicace, agile... etc." ; "Paul se levant, Pierre compris que l'entretient était fini", on peut effectuer une commutation avec "Comme Paul se levait, Pierre compris..." (ce qui atteste bien du caractère subordonné - en l'occurence on a une participiale - de "Paul se levant" ; "En se levant, Pierre renversa la table" qui pourrait être glosé : "Comme il se levait, Pierre renversa la table", commutation qui montre clairement que l'on a affaire à une subordonnée gérondive.
NB que dans quelques cas rares les formes en -ant de caractère nominal et de caractère verbal reçoivent une notation orthographique différente - mais le cas reste rare et ne peut tout au plus qu'être signalé ; il ne peut pas constituer un élément de discrimination fiable : fatigant (adjectif) / fatiguante (gérondif ou participial) ; on a aussi des marques graphiques distinctes pour adhérent (adjectif) / adhérant (gérondif ou participial), suffocant (adjectif) / suffoquant (gérondif ou participial), etc.
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