Chapitre 3e : La phrase et ses compléments (2)

Une citation :

"La Poésie est l'expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l'existence : elle doue ainsi d'authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle." (S. Mallarmé : Un coup de dés...)

La notion de complément

Une phrase peut fonctionner (être grammaticalement correcte) tout en étant réduite à la forme la plus simple : par exemple un SN très réduit et un SV également très simple.
Ex. : "L'homme arrive". Il s'agit là d'une "phrase minimale".

Mais on peut également compléter cette phrase minimale, c'est-à-dire lui adjoindre des compléments, qui sont alors

  • des compléments de nom ; on obtient alors par exemple : "l'homme de San Francisco", "l'homme brun", "l'homme qui était déjà venu ce matin"
  • des compléments de verbe ; on obtient : "arrive en train dans la soirée", "arrive demain", "arrive bientôt", "arrive avec précaution" (ou "précautionneusement" : ce qui permet de voir le lien de telles structures avec ce que l'on appelle les "adverbes")
  • ou encore des compléments de phrase ; on obtient alors : "Comme il l'avait annoncé, l'homme arrive", "L'homme arrive dès qu'il aura fini son travail", "Tous les samedis matin l'homme arrive dès huit heures pour vérifier les horaires de train".

    Cette définition très large du "complément" n'est pas du tout contradictoire avec la définition grammaticale traditionnelle (= "s'ajoute au verbe pour en compléter le sens"), mais l'élargit à tous les membres de la phrase et à la phrase elle-même.

    Notons qu'on parle également dans les grammaires de "complément de nom", ou de "complément de phrase", mais qu'en raison de la présentation qui en est faite, les élèves et les étudiants ne voient pas toujours que la fonction de ces compléments est de compléter le nom (en ce sens les "adjectifs" sont des compléments, au même titre que les structures toujours cités avec "de" : "rouge" dans le livre rouge" complète autant le nom livre que "de Pierre" dans "le livre de Pierre" [dans un contexte très particulier, dans la langue de l'Eglise, on rencontrerait le complément-adjectif "pétrin" pour désigner un "privilège", au même titre qu'on a un "privilège paulin", le premier adjectif renvoyant à Pierre, le deuxième à Paul, ces apôtres de l'Eglise.]

    Dans un texte très stimulant J. Gardes-Tamine et M.A Pelizza rapprochent ce phénomène que nous appelons ici "complémentation" de l'"amplification" [terme utilisé en rhétorique], qui peut être décrite comme un phénomène qui à partir d'une proposition noyau [note 6], "charge" progressivement cette forme de base pour constituer l'unité textuelle réelle. La phrase-noyau ou la proposition-noyau est bâtie autour d'un verbe qui en est l'élément central : Ce verbe, en fonction de son lexique, appelle un certain nombre d'unités, qui lui sont indispensables sur le plan syntaxique comme sur le plan sémantique. C'est ce que l'on appelle la valence du verbe. (J. Gardes-Tamine et M.A. Pelizza, 1998, p. 12).

    Document

    2. L'amplification

    2.1. Définition
    Si les éléments qui définissent la proposition noyau sont de nature fondamentalement syntaxique, il n'en va pas de même pour ceux qui vont construire l'unité de base de l'énoncé, ce qu'on conviendra d'appeler l'unité textuelle.Pour souligner ce qui caractérise la démarche choisie dans ce manuel, qui est de faire passer des unités grammaticales au texte, et en particulier au texte écrit littéraire, on préférera dorénavant la terminologie d'unité textuelle à celle de phrase. Si la phrase, en effet, est l'unité ultime de la description grammaticale, l'unité textuelle, elle, est l'unité minimale du texte. Elle se combine en paragraphes, ou en strophes dans le cas de la poésie versifiée, qui eux-mêmes s'enchaînent pour donner naissance à un texte. Nous allons donc sortir du domaine proprement grammatical, où plutôt nous entrons dans un secteur où les phénomènes grammaticaux, décrits comme tels, sont placés dans une perspective plus large qui leur donne tout leur sens comme unités de construction des textes.
    On ne doit donc pas être étonné de trouver ici un terme comme celui d'amplification qui appartient à la tradition rhétorique. Dans ce cadre, l'amplification désigne le mode par lequel une production discursive est développée pour rassembler le plus grand nombre d'idées possibles en liaison avec son sujet. Elle peut aussi consister à orner le style, et elle a à voir avec la copia, l'abondance verbale. Dans ce passage de Racine où Bérénice déplore sa séparation prochaine d'avec Titus :

    Pour jamais ! Ah Seigneur, songez-vous en vous-même
    Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
    Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
    Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
    Que le jour recommence et que le jour finisse
    Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
    Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?"

    les trois derniers vers ne font que répéter ce que disaient les précédents. On a là affaire à un développement qui rend plus fort le pathétique de la scène et plus douloureuse la plainte de la reine. Ici, l'amplification joue sur plusieurs séquences textuelles, mais elle peut aussi jouer à l'intérieur d'une phrase, et c'est ce que nous allons examiner.

    On notera que ces compléments, quels qu'ils soient, épithètes, compléments circonstanciels, etc. jouent un rôle sémantique identique : ils servent à expliciter à travers le contexte linguistique (Molinié dans sa définition de l'amplification évoque bien ce qu'il appelle la "spécification") ce qui pourrait, dans d'autres circonstances, être laissé à l'implicite de la situation. On peut choisir de dire "Ce garçon m'embête", "Ce grand garçon m'embête", "Ce grand garçon m'embête tous les jours dans la cour de récréation, "Ce grand garçon de 4eB m'embête tous les jours dans la cour de récréation, lorsque nous sortons de la musique", etc.

    Les auteurs d'oeuvres littéraires ont parfois cultivé un style dépouillé en essayant d'écrire uniquement (ou presque uniquement : car il est très difficile d'écrire longuement ainsi) avec des propositions noyaux, en évitant au maximum l'amplification. On donnera quelques exemples :

    "Les pleurs la réveillent. Elle vous regarde. Elle regarde la chambre. Et de nouveau elle vous regarde. Elle caresse votre main." (Marguerite Duras, La maladie de la mort)

    Ou encore - bien qu'un peu moins systématiquement (on soulignera ce qui ne relève pas de la proposition noyau et qui est déjà amplification, dans le texte suivant) :

    "Je suis descendu acheter un pain et des pâtes, j'ai fait ma cuisine et j'ai mangé debout. J'ai voulu fumer une cigarette à la fenêtre, mais l'air avait fraîchi et j'ai eu un peu froid. J'ai fermé mes fenêtres et en revenant j'ai vu dans la glace un bout de table où ma lampe à alcool voisinait avec des morceaux de pain. J'ai pensé que c'était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j'allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n'y avait rien de changé." (Albert Camus, L'étranger)

    En ce qui concerne la construction d'un texte, la distinction entre proposition noyau et éléments d'amplification (compléments divers) ne suffit pas pour expliquer tous les faits. On devrait parler aussi du traitement de l'information en examinant la question de la focalisation et de l'emphase, mais également celle des modalités, suivant en cela J. Gardes-Tamine et M.A. Pelizza (ouvrage cité, pp. 22-26.

    Divers types de "compléments"

    Les compléments comme éléments qui complètent la phrase-noyau, qui explicitent la situation dans le discours, la transformant en contexte, peuvent être de divers types, peuvent concerner aussi bien le SN que le SV ou que la phrase elle-même.

    Ainsi les principaux "compléments de nom" sont (ici soulignés dans les syntagmes nominaux)

    1. les "adjectifs" divers : "cet homme blond...", "une affaire ennuyeuse", "l'arrivée impromptue de Pierre...", parmi lesquels il faudrait inclure le "substantif épithète" selon l'expression retenue par Michèle Noailly[note 8] : "une lessive miracle", "une robe Dior", etc. : ces éléments sont en fait des "compléments directs" du Nom, par opposition aux éléments de la 3e catégorie qui sont des "compléments indirects".
    2. les groupes relatifs : "cet homme que j'avais connu il y a six ans...", "une affaire qui me contrarie beaucoup", "l'arrivée de Pierre que je n'avais pas prévue..."
    3. les groupes prépositionnels (compléments indirects du Nom) : "une tasse à café, "une affaire en or", "l'arrivée impromptue de Pierre..."
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