Quelques tests

Tests ou opérations de base en linguistique

Pour analyser un corpus, pour démontrer que des fonctionnements sont proches et/ou donc que des éléments linguistiques appartiennent à une même catégorie, il est indispensable de recourir à quelques "tests" de base qui servent dans l'analyse des différentes parties du discours.

On citera principalement

Les diverses transformations possibles que peut subir une phrase s'expliquent toujours par un ensemble d'opérations plus ou moins complexes, issues de ces opérations de base.

La commutation permet de mettre en évidence l'appartenance à un même paradigme et donc l'identité de fonctionnement de mots ou de morphèmes (voire de groupes de mots), qui appartiennent alors à la même classe grammaticale.

Ce test permet de mettre à jour les fonctions de bases : ainsi le pronom "il" peut remplacer "le petit garçon" ou "Pierre" dans les exemples suivants :
le petit garçonjoue au ballon
Pierrejoue au ballon
iljoue au ballon
Ces différentes séquences "le petit garçon", "Pierre" - et tous les éléments que l'on pourrait ici insérer - sont comme "il" des GN "sujets" du verbe qui suit.

La permutation est l'opération qui permet de modifier la position relative de deux éléments dans la phrase. Ainsi il y a permutation entre le pronom et le verbe lors du passage de la phrase assertive simple à la phrase interrogative simple :
"Il vient." --> "Vient-il ?"

Il y a encore permutation quand un adjectif qui était postposé dans une phrase est antéposé au nom dans une autre :
"Un homme grand" --> "un grand homme" (bien sûr cette permutation n'est pas innocente quant au sens. Voir leçon sur les
adjectifs.

L'insertion, qui permet d'introduire un élément dans une phrase ou un groupe de mots, est très utile pour montrer par exemple dans le test de "degré" que l'on a ou non affaire à une forme adjectivale susceptible de recevoir cette marque et décèle ainsi une certaine catégorie d'adjectifs : "une affaire étonnante" --> "une affaire très étonnante", "un homme grand" --> "un homme très grand", mais "?un discours très présidentiel" (avec un adjectif dit "de relation" : cf. comment interpréter cette séquence selon un sens second quand il y a l'adverbe "très" : il ne s'agit plus du "discours du président", mais du "discours de quelqu'un qui parle comme le président"), "*un homme très avec un parapluie"... La catégorie non susceptible de degré peut ainsi être opposée comme catégorie des "compléments du nom" à la catégorie des "adjectifs" proprement dits : même si cette dernière est large en français contemporain (notamment elle ne peut être réduite aux seuls adjectifs qui s'accordent avec le nom), on peut encore la distinguer précisément de la catégorie (variée) des compléments de nom parce qu'elle est susceptible d'accepter l'insertion d'un marqueur de degré (très, moins, plus...).

L'insertion est aussi utilisée pour marquer la plus ou moins grande autonomie des éléments dans un syntagme. Un syntagme figé, devenant une "lexie" n'est pas susceptible de recevoir une insertion. Ex. *"une hôtesse blonde de l'air", "*une pomme pourrie de terre", ""une table en bois de nuit", etc. montrent que "hôtesse de l'air", "pomme de terre", "table de nuit" sont des lexies. En revanche avec "le fils de mon frère", on dira sans difficulté "le fils aîné de mon frère", avec "une pelle en bois", "une pelle rouge en bois" (qui n'est pas la même chose qu'"une pelle en bois rouge".

Quelques exemples d'utilisation des tests en linguistique (pour l'explicitation des transformations complexes)

La transformation de pronominalisation implique une commutation, mais implique aussi souvent une permutation : "il voit le garçon" --> "il le voit".

De même, signalant que la fonction adjectivale (qualification) peut être remplie par divers éléments formels, la commutation met en évidence à première vue une similitude de fonctionnement entre :
L'hommeblond
"fatigué
"qui est arrivé en car
"avec un parapluie
"de haute taille

Par la suite, il sera indispensable toutefois, en procédant à des permutations (qui se révèleront ou non possibles) d'établir qu'il n'y a pas une seule classe de "qualificatifs", mais de fait plusieurs, après le nom :

N.B. Il est rare que l'on puisse se contenter d'un seul "test" pour mettre en évidence un fonctionnement. Il faut souvent recourir à plusieurs tests pour confirmer une analyse : ainsi en est-il par exemple du déplacement (permutation) du complément qui manifeste quand il est possible que l'on a affaire plutôt à un complément de phrase qu'à un complément de verbe. Cf. "Il travaille le samedi" / "Le samedi il travaille" au fonctionnement bien différent de "Il mange une pomme" (on ne dira pas "*une pomme il mange"). La pronominalisation donnerait dans le 2e cas : "il la mange" - mettant à jour une fonction de complément direct. Une telle opération, possible pour "il travaille le bois" ("il le travaille") n'est pas possible pour "il travaille le samedi" !

Très complexe la transformation passive implique la succession de plusieurs opérations :
"Pierre bat Paul" --> "Paul est battu par Pierre"

On s'entraînera à rendre compte des transformations diverses affectant la phrase de base en terme de transformations : ceci permettra de mieux comprendre le fonctionnement de la langue, et les rapprochements qu'il convient d'opérer souvent pour mieux analyser le sens d'une phrase.

Un simple exemple de l'intérêt de se livrer à ces tests (question posée récemment par un étudiant) : Que sont les deux "en" dans la phrase "En en parlant, Pierre pensait à son père". Suggestion : On pourrait avoir "en parlant de son enfance". Le premier "en" dans la forme gérondive (qui demeure dans la transformation) est une préposition. Le deuxième mis à la place de "de son enfance" est un pronom. Avec un autre verbe on aurait (autre opération de commutation) : "en évoquant son enfance" --> "en l'évoquant" ("l'" pronom est ici complément direct).

Test : passé / accompli

Lorsque le passé composé a principalement une valeur de "passé" par rapport au présent du locuteur, il peut être remplacé par un passé simple. Ex.

"J'ai pris mon vélo, je suis sorti, et j'ai marché pendant une heure"
--> "Je pris mon vélo, je sortis, et je marchai pendant une heure"

"Quand je lui ai dit de se dépêcher, il m'a regardé curieusement."
-->Quand je lui dis de se dépêcher, il me regarda curieusement".

En revanche quand il a une valeur d'accompli, il ne peut pas être remplacé par le passé simple :

"J'ai manqué Pierre : j'espère qu'il reviendra"
*"Je manquai Pierre : j'espère qu'il reviendra"

- à comparer avec l'enchaînement suivant où "j'ai manqué Pierre" a une valeur de passé et non pas d'accompli :
"j'ai manqué Pierre : il a téléphoné pour me prévenir"
--> "Je manquai Pierre : il téléphona pour me prévenir

"Le mardi, j'ai fait ma promenade quotidienne quand Pierre arrive à la maison"
*"Le mardi, je fis ma promenade quotidienne quand Pierre arrive à la maison"

La valeur d'"accompli" est perdu : si l'on met "Le mardi, je fis ma promenade quotidienne quand Pierre arriva à la maison", le sens est précisément le contraire d'un accompli : c'est quand Pierre arriva que je me décidai à faire ma promenade quotidienne !"

RETOUR

D'autres tests sont largement utilisés dans l'analyse linguistique - le test précédent n'étant qu'un cas particuliers des tests variés de commutation. On trouvera à propos des tests un excellent chapitre dans l'ouvrage de Joëlle Gardes-Tamine, 2004 (Belin) : Pour une grammaire de l'écrit, pp. 118 sq.