Propositions pour un corrigé du devoir sur Marguerite Duras

Plan possible et grandes lignes d'un corrigé

Introduction

Deux types d'introduction sont possibles :

Les temps du récit

Les temps du récit sont beaucoup plus représentés dans cet extrait. Toutefois la trame narrative est régulièrement coupée par l'insertion d'éléments de dialogues permettant de mieux percevoir les tensions entre les personnages du roman.

Le passé simple et ses valeurs :

Ce "présent" du récit est le temps de la conjugaison qui sert le plus directement à souligner l'enchaînement (rapide) des actions (effectivement dans ce passage nous avons surtout des actions) :
"Ce fut donc pour la dernière fois"
"... se fit entendre"
"La mère hocha la tête"
"on entendit"
"la carriole apparut sur la piste"
"les femmes descendirent et continuèrent leur chemin à pied vers Kam
"Joseph sauta de la carriole, prit le cheval par la bride, quitta la piste et tourna dans le petit chemin..."
etc.
On peut souligner que, même lorsque les verbes sont imperfectifs ("continuèrent", "s'approcha"...), avec le passe simple, elles sont envisagés comme "ponctuelles" : on passe rapidement à autre chose, l'enchaînement narratif est marqué par le mouvement et une certaine efficacité : les actions successives des personnages sont prises comme achevées quand on passe à une autre. Ceci est caractéristique du passé simple comme temps autour duquel se bâtit le récit. De nombreux verbes perfectifs renforcent ce sentiment de rapidité : phrase où l'on dépeint l'arrivée de Joseph : "sauta", "prit", "quitta", "tourna"...

On notera qu'à partir de la moitié du texte (3e paragraphe), le récit lui même ralentit : présence de verbes inchoatifs, qui insistant chaque fois sur le début de l'action la montrent dans son inachèvement : "Joseph commença à dételer le cheval", "se mit à l'examiner"... Après une peinture rapide, on est comme arrivé à l'essentiel, et le narrateur s'attarde, détaille, pris, englué dans la chaleur qui pèse sur les êtres et les ralentit à l'image du cheval qui va mourir et qui par son comprotement constitue en quelque sorte le prototype de cet univers de l'engluement avec l'arrêt progressif des actions sous le lourd soleil du Viet-Nam.

L'imparfait

Par opposition au passé simple marquant la rapidité des actions autour du personnage de Joseph, les actions durables, durantes, et en particulier tout ce qui se rapporte au cheval amène l'auteur à recourir à l'imparfait, qui ainsi apparaît d'abord comme marqueur de la durée : on perçoit l'écoulement (lent) du temps, l'inachèvement :
"Joseph était à l'avant"
"il y avait deux Malaises"
"Le cheval allait très lentement"
(noter ici le renforcement par l'adverbe "très lentement")
"il raclait la piste de ses pattes plutôt qu'il ne marchait"
"Joseph le fouettait"
"La mère l'attendait"
"Suzanne était assise"
"le cheval était bien plus vieux"
[...]
"Joseph allait vers lui et lui caressait le col"
"...gueulait Joseph"

Au fil du texte, les imparfaits deviennent dominants, le regard se portant de plus en plus sur le cheval, symbole de l'anéantissement lent et progressif de toute chose. Au-delà de l'aspect duratif, ils se chargent souvent d'une valeur itérative : "fouettait", mais surtout "allait vers lui et lui caressait le col". Ce mouvement de Joseph vers le cheval est présenté ici comme s'il s'agissait d'une action de tous les jours, actions répétés, alors qu'on le sait parfaitement, c'est le même soir ("ce soir-là") que, très lentement, Joseph revenu à la maison, est obligé de se préoccuper du cheval ; tout son comportement, sur lequel, on concentre le regard du lecteur, est contaminé par la lenteur ambiante.

On notera le contraste entre les introducteurs de dialogue, le plus souvent au passé simple, ici et dans les usages standard : "dit Joseph" et le recours à l'imparfait dans "gueulait Joseph", comme si l'on était passé d'un propos sémelfactif" (une fois) à un gueulement répété : Joseph gueule durablement, gueule à répétition...

L'antériorité : le rôle du plus-que-parfait

On a cinq plus-que-parfaits dans le cadre du récit : "il avait eu l'idée de ce service", "il avait acheté le tout", "lui avait apporté du pain de riz", "il était retourné", "n'avait-il jamais mangé" qui, explicitement, renforcés par des locutions temporelles, se trouvent toujours renvoyer à une époque antérieure au moment du récit ("ce soir-là") c'est-à-dire le soir où l'on est rendu, le soir du retour anticipé de Joseph). Ces embrayeurs du récit soulignant l'antériorité sont d'une part "C'était la semaine dernière", d'autre part "la veille", situant ainsi les deux époques évoquées par rapport au "présent" du récit.

On a également un passé antérieur "une fois qu'il eut dételé", utilisé pour souligner l'achèvement d'une action ainsi située par rapport au "présent du récit" : le texte se poursuit tout naturellement au passé simple :... il s'écarta un peu du cheval...

L'hypothétique ou irréel

Des conditionnels occupent une petite place dans le texte : "il aurait pu aussi bien fouetter la piste, elle n'aurait pas été plus insensible" ; ils ont précisément cette valeur hypothétique et exclusivement pour souligner le peu de conséquences dans le réel des actions de Joseph sur le cheval. Sont simplement là respectées les règles de concordance habituelle, sans qu'il n'y ait rien de particulier à souligner.

Les embrayeurs du récit

Nous avons ci-dessus à diverses reprises souligné leur existence et leur rôle pour situer les différentes temporalités. Sont en fait évoquées dans le texte trois époques, et pour chacune Marguerite Duras recourt aux locutions temporelles nécessaires (embrayeurs anaphoriques) qui fonctionnent normalement avec les temps du récit :

Les temps du discours

Ils sont beaucoup moins représentés dans le texte, qui, soulignons-le encore, est une courte sélection dans un chapitre d'Un barrage contre le Pacifique, qui a dû même être coupé (cf. [...]) pour répondre aux exigences du devoir en temps limité. Mais, ils ponctuent le récit de remarques brèves des personnages, qui naturellement recourent au temps du discours (caractéristiques de la parole "en situation"). Ces courts passages de discours, inserrés dans le récit, jouent un rôle important pour l'évolution dramatique ; remplaçant les plus classiques descriptions de personnages (que l'on trouverait par exemple dans un roman de Balzac), et les explications concernant leurs caractères, leurs attentes, leurs comportements. Les propos des personnages mis en scène directement constituent ainsi des étapes significatives pour l'évolution du roman, complétant la narration extérieure à la troisième personne où sont énumérées rapidement les actions de Joseph ou de la mère). Cette technique littéraire, que l'on trouve fréquemment dans le "nouveau roman" où les dialogues ne sont pas simples enjolivures ou illustrations, mais ont une fonction dans le développement de l'histoire elle-même, est chère à Marguerite Duras.

Le présent et les marques d'antériorité

Même si peu nombreux dans notre extrait, les temps du discours sont essentiellement représentés par le présent (de l'indicatif ou de l'impératif) : "C'est tôt", "Il n'avance plus du tout", "mange... mange", "Si tu ne la fermes pas je fous le camp" et par un "passé composé" ("il n'a pas dû avoir beaucoup de monde") qui joue le rôle de passé ou d'antérieur par rapport au présent, comme le plus-que-parfait joue ce rôle par rapport au passé simple (voir ci-dessus).

De fait le présent a des valeurs différentes qu'il importe de souligner :

Il faudrait souligner enfin que si un "plus-que-parfait" apparaît dans les passages de discours, c'est pour souligner une antériorité encore plus grande : ainsi à côté de "il n'a pas dû avoir beaucoup de monde" (qui renvoie au jour d'aujourd'hui, mais au temps qui est antérieur au retour de Joseph, pour évoquer la semaine passée, la mère dit "Je t'avais dit de ne pas l'acheter". On voit ainsi que si la répartition entre "temps du récit" et "temps du discours" proposée par Benveniste est essentielle pour comprendre l'organisation d'un texte, il convient de ne pas simplifier ou tronquer ses propos. Il souligne clairement que certains temps de la conjugaison, comme l'imparfait par exemple (mais nous n'en avons pas dans les passages au temps du discours dans le texte ci-dessus), mais également le conditionnel, et même donc le plus-que-parfait pour marquer une antériorité plus grande, peuvent se retrouver utilisées aussi bien avec les temps du récit qu'avec les temps du discours : ce n'est d'ailleurs pas une surprise quand on sait que le présent lui même peut servir pour un récit (présent dit "historique"), à condition que les embrayeurs permettent de situer temporellement le récit en question : "L'année dernière", la semaine passée, "la veille"..., etc.

Les embrayeurs du discours

Soulignons à ce propos le rôle du "je", en relation avec "ici" et "maintenant", non représentés dans notre court texte, mais implicites. On comprend d'ailleurs que si au lieu de recourir aux temps du récit pour "La veille, Joseph lui avait apporté du pain de riz...", l'auteur avait préféré faire parler Joseph au style direct, on aurait "Hier, je lui ai apporté du pain de riz" : on voit clairement les transformations qui sont opérés sur les embrayeurs et les temps de la conjugaison quand on passe du "récit" au "discours", pour reprendre la terminologie d'Emile Benveniste.

Dans ce cadre, on soulignera le contraste net entre l'usage du "il", marque de la non-personne selon la terminologie de Benveniste, embrayeur du récit (renvoyant à Joseph, à la mère, à la piste, au cheval...) et le "je", le "tu" ("Si tu ne la fermes pas...") ou l'impératif (s'adressant à un "tu") dans les dialogues.

Conclusion

Cet extrait trop court a attiré notre attention sur l'organisation des temps du dicours et des temps du récit dans un roman marqué par certaines des techniques du "nouveau roman" mais aussi par les soucis réalistes dans la représentation des propos des personnages. On pourrait d'ailleurs discuter brièvement les rapports entre temps du discours et oral, et temps du récit et écrit. S'il ne s'agit pas confondre les deux (un récit peut être fait à l'oral : cf. par exemple la profération d'un conte qui recourt nécessairement au passé simple, ce temps devenant d'ailleurs symboliquement l'une des marques du conte pour les jeunes auditeurs, restituant, quand ils ne maîtrisent pas encore les subtilités de la morphologie du passé simple français, le Petit Chaperon Rouge en racontant "Elle se leva, elle *parta, elle marcha dans la forêt, etc...", et des conversations peuvent être écrites, les auteurs s'efforcant tout particulièrement depuis le milieu du XXe siècle, d'imiter dans les dialogues de roman les formes les plus orales, tant au plan phonique, que syntaxique, ou lexical - cf. ici "je fous le camp"), il est intéressant de souligner les fonctions des parties dialoguées dans le roman moderne, qui peuvent même, dans certains cas exceptionnels, constituer à peu près la totalité du roman en étant le moteur quasi unique de l'évolution romanesque (on pense en particulier aux romans très contemporains d'Amélie Nothomb mais avant elle, par exemple, au Claude Mauriac du Dîner en ville).